Question Parlementaire sur la réforme des droits d’auteur
Question orale du 12/10/2021 de GARDIER Charles à LINARD Bénédicte, Ministre vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes, sur la réforme des droits d’auteur
Au mois de juin 2021, le gouvernement fédéral a adopté un plan de lutte contre la fraude fiscale et sociale et entend, par ce biais, «s’en prendre à de présumés «abus» dans le régime fiscal des droits d’auteurs». L’attractivité de ce système est compréhensible: en dessous d’une tranche de 61 200 euros bruts par an, ces revenus sont considérés comme des revenus mobiliers et taxés à hauteur de 15 % seulement, en sus d’une déduction forfaitaire de frais. Selon un avis du Conseil supérieur des finances (CSF), dans la pratique, ce régime s’applique à un groupe cible bien plus large que prévu et peut mener à des abus. Ainsi, entre 2013 et 2020, le nombre de personnes physiques déclarant un revenu de type «droits d’auteur» a augmenté de plus de 150 %; le total des revenus bruts ainsi déclarés est passé de 108 millions d’euros à près de 400 millions, soit une augmentation de 270 %.
À cet égard, la presse a récemment rapporté la mobilisation de multiples sociétés de gestion de droits d’auteur dans un courrier envoyé au gouvernement fédéral. Citons parmi elles l’Association des éditeurs belges (ADEB), les éditeurs de presse francophone et germanophone et les sociétés de gestion de droits de la quasi-totalité de l’industrie littéraire, musicale et audiovisuelle: deAuteurs, PlayRight, la Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (Sabam), la Société de droit d’auteur des Journalistes – Journalisten Auteursmaatschappij (SAJ-JAM), la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), la So- ciété civile des auteurs multimédia (SCAM), la Société de l’industrie musicale – MuziekIndustrie Maatschappij (SIMIM) et la Société multimédia des auteurs des arts visuels (SOFAM). Le contenu de ce courrier est très clair: le secteur est favorable à une réforme du régime fiscal susmentionné, à condition que cela n’affecte pas les premiers destinataires de ce régime qui, en confirmant la nature mobilière de ces revenus, a mis fin à l’insécurité juridique qui les entourait.
Madame la Ministre, selon le journal «Le Soir», le 21 septembre 2021, le Conseil supérieur de la culture (CSC) vous aurait adressé de sa propre initiative un avis sur ce dossier, dans lequel il défendrait exactement la même logique et vous demanderait de vous saisir de ce dossier important en allant à la rencontre des ministres fédéraux compétents: les ministres des Finances, des Affaires sociales, de l’Économie et du Travail.
Il s’agit ici de soutenir le secteur dans ses démarches visant à formuler des propositions concrètes et raisonnables quant au régime fiscal qui s’applique à lui. En effet, il ne pourrait être question d’une réforme sans prendre en considération le fait que le contexte national et international nous pousse à être ouverts sur la question. En effet, en raison du Brexit, nombre d’activités anglo-saxonnes cherchent à se relocaliser en Europe continentale.
Nous ne pouvons pas oublier le poids économique de la culture, qui représente 3 à 5 % du produit intérieur brut (PIB). Il ne s’agit évidemment pas de considérer ces activités comme une marchandise ou de ne les évoquer qu’au travers des aspects fiscaux; en revanche, il ne faudrait pas qu’une réforme alourdisse la taxation des droits d’auteur et voisins, au risque de subir un exode de nos talents artistiques vers des pays voisins.
Madame la Ministre, quelle est votre position sur ce dossier? Avez-vous consulté les acteurs visés par une potentielle réforme du régime fiscal des droits d’auteur? Partagez-vous le point de vue exprimé par les sociétés de gestion de droits? Vous êtes-vous entretenue ou pensez-vous vous entretenir bientôt avec les mi- nistres fédéraux sur cette question? Cette problématique sera-t-elle évoquée au sein de la prochaine conférence interministérielle Culture (CIM Culture)?
Réponse de la Ministre
Tout comme la réforme sur le statut d’artiste, la réforme du régime fiscal des droits d’auteur est exclusivement menée par le vice-premier ministre et ministre des Finances, Vincent Van Peteghem. Les ministres Dermagne, Vandenbroucke et Clarinval y sont associés en raison du lien manifeste avec la réforme en cours sur le statut d’artiste. Mon cabinet, en revanche, n’y est pas associé.
J’ai bien reçu l’avis d’initiative du CSC le 23 septembre dernier, soit une semaine après la dernière CIM Culture. J’ai également reçu une copie du courrier que les sociétés de gestion ont adressé au gouvernement fédéral. Cette lettre expose de manière complète et détaillée les enjeux liés à la réforme en question. Je partage l’inquiétude des sociétés de gestion, car il serait dommageable que la réforme envisagée fragilise les auteurs, sans qui aucune création ne verrait le jour.
Cette volonté de modifier le statut fiscal des auteurs est due à de nombreux abus émanant d’autres professions comme les architectes, les avocats, les développeurs de programmes ou encore le personnel créatif des entreprises, qui ont profité de ce précompte sur les revenus mobiliers limité à 15 % dans leurs déclarations fiscales. La mobilisation à ce propos rassemble des sociétés de gestion de l’ensemble du pays; j’espère que le gouvernement fédéral y sera sensible et acceptera au moins la proposition de concertation. La prochaine réunion de la CIM Culture aura lieu à la fin du mois de novembre; je m’engage à faire inscrire ce point à l’ordre du jour et resterai attentive à la nécessité d’autres contacts avant cette date.
Réplique
M. Charles Gardier (MR). – Madame la Ministre, le CSC vous a rendu un avis d’initiative dans lequel il considère que vous avez un rôle à jouer dans ce dossier. Je vous concède que celui-ci relève principalement de l’État fédéral, tout comme le statut d’artiste. Toutefois, nous avons débattu à plusieurs reprises de ce statut et nous nous sommes mobilisés pour être entendus au niveau fédéral.
Ce dossier est particulièrement important et votre réponse me laisse entendre que vous en avez pris toute la mesure. En tant que ministre de la Culture, votre rôle est d’amplifier le discours de ces secteurs inquiets. À travers votre voix, ils ont l’occasion de peser sur ces discussions fédérales. Rappelons que ce dossier concerne des acteurs qui dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles; nous devons y être attentifs. Je suis certain que ce sera le cas.