Question orale sur la suite des décisions prises par le Comité de concertation (Codeco) le 4 mars 2022

Par Charles Gardier

Question orale de GARDIER Charles à LINARD Bénédicte, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes, sur la suite des décisions prises par le Comité de concertation (Codeco) le 4 mars 2022.

À la suite de la dernière réunion du Comité de concer- tation (Codeco) et du passage en code jaune du baromètre corona, il n’aura échappé à aucun amateur de culture qu’un vent d’assouplissement s’est levé. En effet, la levée du Covid safe ticket (CST) obligatoire, du port du masque et des limitations de capacité dans le monde culturel représente une preuve patente de l’amélioration de la situation sanitaire, que nous espérons tous durable et sans retour en arrière. En outre, le 11 mars dernier a marqué la fin de la phase fédérale de crise, ce qui signifie que les entités fédérées retrouvent leur autonomie dans l’hypothèse où l’adoption de nouvelles mesures sanitaires serait nécessaire.

Plus précisément, l’éventuelle réintroduction du CST dans le quotidien des Belges ne sera plus automatique; elle devra être évaluée et on devra statuer sur sa plus- value épidémiologique. Dans tous les cas, elle ne se produirait qu’en cas de situation d’urgence épidémiologique future et devrait être actée par le Codeco.

Madame la Ministre, quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation sanitaire, favorable au secteur culturel? Les concerts tests organisés en Fédération Wallonie-Bruxelles en 2021 pourraient-ils contribuer à l’évaluation de la plus-value épidémiologique du CST? Une proposition en ce sens a-t-elle déjà été évoquée au sein du gouvernement ou de la conférence interministérielle Culture (CIM Culture)? Que pouvons-nous apprendre de ces concerts tests et de cette période privée de culture? Comment pouvons-nous gérer la situation avec plus de recul et non plus dans l’urgence?

Quelles initiatives sont envisagées par le secteur et par vous-même afin d’inciter le plus grand nombre de citoyens à retourner vers les lieux de culture? Il s’agit aussi des personnes qui ressentent encore une certaine appréhension en raison des deux années de crise sanitaire que nous venons de vivre. En effet, les échos du terrain indiquent que le retour vers les lieux culturels n’est pas aussi spontané et important que nous l’espérions.

Réponse de la Ministre

Lors de la dernière réunion de notre commission, j’ai indiqué que le passage au code jaune était en vue. Aujourd’hui, nous y sommes. Il est en vigueur depuis le 7 mars dernier, ce qui a permis la levée des dernières restrictions qui pesaient sur le secteur culturel. C’est évidemment un immense soulagement pour le secteur de la culture, mais aussi pour mon cabinet et moi-même. Cependant, cela ne signifie pas que la crise est terminée ou que les opérateurs reprennent leurs activités là où ils les avaient laissées en mars 2020. Un nouveau chapitre s’ouvre dans cette pandémie; nous espérons qu’il sera durable et qu’il verra enfin la culture reprendre sa place centrale dans notre société.

Le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles a été continu et ne s’arrête évidemment pas ici. Il nous faut d’abord continuer le travail sur les aides d’urgences. Leur liquidation continue et certaines sont encore à la disposition des opérateurs culturels, notamment celles qui ont trait à la ventilation et à la cellule de veille. Nous devrons ensuite poursuivre et amplifier notre soutien au redéploiement de la culture, notamment en renforçant le budget des aides à la création et à la diffusion.

Le soutien du secteur culturel doit être poursuivi dans la durée, non seulement pour la rencontre avec les publics, mais aussi pour le redéploiement de tout le secteur et des multiples professions auxquelles il fait appel. Je tente donc de tirer les enseignements de la crise et des dispositifs que nous avons instaurés pour penser les politiques culturelles structurelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La création de certaines aides pendant la crise, à l’aide du Fonds d’urgence, nous a déjà guidés vers le renforcement structurel des aides à la création et à la diffusion. Il s’est aussi avéré que certains décrets doivent être revus à la lumière des évènements qui ont marqué la crise, qu’il s’agisse de textes relatifs à la diffusion, aux arts de la scène ou aux contrats de filière. Tous les appuis structurels au secteur

doivent s’inspirer de ce que nous avons créé grâce au travail de concertation. Nous devons nous appuyer sur cette expérience pour repenser nos politiques culturelles structurelles.

Plusieurs aides ponctuelles sont d’ailleurs encore d’actualité, mais elles n’ont de sens que si elles sont intégrées à un ensemble global. Les tournées, les tiers lieux, les Tournées Art et Vie ou encore les spectacles à l’école sont des dispositifs formant un tout. Ils permettent de travailler au redéploiement global du secteur culturel, en ce compris le lien avec les publics. Lors d’une récente réunion avec le groupe de travail sur l’humour, j’ai apprécié à quel point nous devons nous appuyer sur notre travail pour repenser la diversité de nos politiques culturelles, laquelle nous permettra d’attirer des publics supplémentaires. L’évocation des tiers lieux et des tournées, par exemple, permet au secteur de l’humour de se sentir englobé dans les politiques culturelles.

Comme la presse l’a souligné, le secteur des arts de la scène redémarre enfin avec des jauges portées à 100 % de la capacité. Les festivals se préparent, mais certains peinent effectivement à retrouver du personnel, notamment des techniciens. Cette «fuite des talents» n’est malheureusement pas une surprise. En effet, les aides d’urgence de la Fédération Wallonie-Bruxelles visaient aussi le paiement des prestataires finaux; nous avons misé sur la solidarité des opérateurs envers leur personnel et envers les acteurs de leurs programmations. Néanmoins, la précarité de la situation de ces acteurs était déjà présente bien avant la crise, particulièrement dans le secteur culturel privé. Les pratiques contractuelles du secteur, parfois quasiment inexistantes, n’ont pas permis aux techniciens de bénéficier du statut d’artiste ou même, dans certains cas, du chômage.

Contrairement aux informations publiées, la Fédération Wallonie-Bruxelles a pris ses responsabilités, même vis-à-vis du secteur historiquement non subventionné. Dès le début de la crise, nous nous sommes battus pour que les promesses d’engagement des opérateurs valent contrat. À l’époque, nous élaborions à peine les premiers dispositifs à tous les étages de la Belgique. Nous nous sommes alors rendu compte que certaines pratiques du monde culturel n’étaient pas liées à des contrats et mettaient encore plus à mal certains travailleurs du secteur. Nous nous sommes battus pour que ces promesses d’engagement valent contrat et pour que le pouvoir fédéral se penche sur la question et prenne ses responsabilités, ce qu’il a fait, mais presque six mois après le début de la pandémie, ce qui a plongé certains travailleurs dans la précarité et dans l’obligation de se réinventer pour survivre. J’ose espérer que le redéploiement ne fera pas l’impasse sur la responsa- bilité des employeurs de proposer des contrats corrects, ce qui motivera certains à revenir dans le circuit. Nous y sommes particulièrement attentifs dans le cadre des opérateurs majoritairement financés par de l’argent public.

L’arrêt de l’usage du CST va lever une pression importante sur les travailleurs culturels. Cela n’empêche qu’un débat doit avoir lieu quant à l’avenir éventuel

d’un tel outil. Il a montré ses limites et il devrait être évalué, comme prévu. Notons tout de même que le CST est un outil de santé publique transversal développé par le ministre fédéral de la Santé publique et appliqué par les Régions à différents secteurs de la société. Madame Pavet, en tant que ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles, je ne peux prendre des engagements péremptoires sur un tel dossier.

Le CST n’était effectivement pas utilisé lors des évènements tests; il n’était d’ailleurs pas encore finalisé. Nous avons démontré que le risque de transmission était alors très faible, mais nous avons aussi constaté, lorsque de nouveaux variants sont apparus, que les règles du jeu peuvent changer très rapidement. Cela doit nous inciter à rester humbles face à cette crise inédite et à tirer le meilleur des outils dont nous disposons sans préjuger des changements inédits qui peuvent encore changer la donne.

Réplique

Madame la Ministre, vos réponses montrent bien votre implication. Il est important de rappeler à quel point la Fédération Wallonie-Bruxelles et son gouvernement se sont mobilisés aux côtés du secteur culturel, car cela permet de tordre le cou à certaines fake news.

Vous avez affirmé que la culture va reprendre sa place centrale; ce serait une bonne chose, mais elle doit occuper une place encore plus prioritaire. En effet, lors de la pandémie, nous avons constaté que sa place n’était pas si centrale que ça. Certains ont même osé laisser entendre qu’elle n’était pas essentielle. À l’écoute de votre intervention, je constate que nous sommes sur la même longueur d’onde. La culture mérite beaucoup mieux que ce qu’elle a subi.

Il y a effectivement des enseignements à tirer de cette période. Vous avez tout à fait raison de dire que ce secteur nécessite un appui structurel. Il ne faut pas faire marche arrière et perdre les améliorations apportées au cours de cette période difficile parce que la situation s’est arrangée. Il existe toujours des fragilités particulières et de nombreuses difficultés. Certains des soutiens consentis par la Fédération Wallonie-Bruxelles doivent être pérennisés. Néanmoins, ce combat doit être plus général. La culture a besoin d’une véritable reconnaissance, non seule- ment sur le plan politique, mais aussi sur le plan sociétal. Vous avez aussi évoqué la fuite des talents dont souffre la culture. Je ne peux que souscrire à votre analyse. Nous devons nous pencher plus avant sur les difficultés que subissent de nombreuses structures lorsqu’il s’agit de trouver des travailleurs ou du matériel.

Nous devons effectivement rester humbles. Il existe encore des remous liés à la pandémie, mais nous devons aussi sortir de la gestion d’urgence. Il faut travailler sur la base des résultats obtenus au cours de l’observation et de l’encadrement de la situation. Le secteur culturel a besoin de perspectives comme de pain; c’est essentiel. Nous l’oublions trop souvent: avant de monter un spectacle sur une scène, il doit être écrit, préparé et répété. Nous ne pouvons pas déprogrammer de tels projets comme n’importe quel autre. Je ne souhaite pas comparer les secteurs, mais celui de la culture est tout à fait spécifique et il convient d’y lever un maximum d’incertitudes.