Question orale sur la cartographie du monde de la culture
Question orale de GARDIER Charles à LINARD Bénédicte, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes, sur la cartographie du monde de la culture.
Madame la Ministre, ma question fait suite aux déclarations du président de la Fédération de la culture indépendante (FCI) lors de la première séance d’auditions du secteur culturel organisée par notre commis- sion. Ces déclarations concernent l’absence de cartographie du monde de la culture.
Nous avons déjà eu l’occasion de discuter de la réalisation d’une cartographie d’un secteur précis, à savoir celui de l’humour, lequel devrait, je l’espère, intégrer le plus rapidement possible les politiques culturelles de la Fédération Wallonie- Bruxelles. Par ailleurs, la réalisation d’une cartographie globale de la culture semble légitime au regard de la nécessité de tirer les enseignements les plus larges possible de la crise actuelle. Je suis convaincu que beaucoup de mes collègues seront d’accord avec moi pour affirmer qu’il est important de tirer les leçons de la Covid-19, afin d’éviter que le monde de la culture soit sujet aux mêmes affres en cas de futures pandémies.
Madame la Ministre, partagez-vous le sentiment qu’une telle cartographie est nécessaire? Pourquoi n’en existe-t-il pas encore? Des réflexions sont-elles en cours à ce sujet au sein de votre administration ou de votre cabinet? Dans l’affirmative, qu’en ressort-il? Envisagez-vous de prendre des initiatives afin qu’une telle car- tographie soit enfin réalisée? Si oui, quelles pistes imaginez-vous? Dans quels dé- lais pareille cartographie pourrait-elle être établie?
Réponse de la Ministre
Monsieur Gardier, votre demande d’établir un cadastre de «la» culture présuppose une définition même de cette dernière. J’ajouterais même qu’il faudrait disposer d’une définition de la culture spécifique à la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pour répondre à votre question, Madame Pavet, je précise qu’il n’existe pas à ce jour de cadastre précis de l’emploi artistique en Fédération Wallonie-Bruxelles. Cela manque cruellement. C’est pourquoi je me suis employée à créer un outil de mesure permettant de cadastrer l’emploi culturel. L’Observatoire des politiques culturelles (OPC) et le sous-traitant qu’il a désigné sont en train de finaliser une étude qui détaille une méthode pour établir un tel cadastre. Il conviendra ensuite de déterminer le périmètre de ce dernier, car la culture et les métiers de la culture représentent des champs extrêmement vastes. Pour l’illustrer, l’équipe de chercheurs a pris l’exemple du métier de designer automobile: intuitivement, l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’un métier de nature artistique, alors que le secteur qui l’emploie n’appartient pas, à proprement parler, au monde de la culture. Si un designer automobile travaille en tant qu’indépendant, il pourrait être inscrit au cadastre de la culture. En tant qu’employé, par contre, il relèvera probablement de l’industrie automobile. Cet exemple concret illustre bien la difficulté d’établir un cadastre de la culture.
Bien sûr, il existe des notions fondatrices édictées notamment par l’UNESCO. La crise a également révélé des secteurs culturels non reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles, tels que celui de l’humour. Il existe aussi des opérateurs, des mouvements ou des artistes qui ne sont pas reconnus par la Fédération. Des cadastres reprennent néanmoins les secteurs et opérateurs que la Fédération Wallonie-Bruxelles reconnaît et subventionne. En témoignent les données présentées
dans la revue «Focus Culture» ou encore lors des Assises du développement cul- turel territorial. Certains services de l’Administration générale de la culture (AGC) cartographient les opérateurs culturels connus et reconnus. Ils permettent d’identifier les zones moins couvertes. Ces outils sont en constante évolution; il est nécessaire de les actualiser en fonction des réalités actuelles.
Quant à l’idée de dresser un grand cadastre de la culture, elle paraît, certes, séduisante, mais cela réclamerait de lancer un chantier titanesque, me semble-t-il. Je propose donc, dans un premier temps, de concrétiser la démarche portant sur l’emploi artistique. C’est une étape importante et nécessaire. De la sorte, nous pourrions évaluer et identifier les écueils rencontrés, avant d’élargir le champ de ce cadastre.
Pour répondre plus précisément à votre question sur les possibles pertes d’emplois, Madame Pavet, nous avons tout mis en œuvre, en Fédération Wallonie- Bruxelles, pour limiter les effets de la crise, particulièrement pour les métiers de la culture. Je ne vous détaille pas une fois de plus la batterie de mesures qui ont été prises et qui visaient à garantir, dans la mesure des règles édictées, le maintien des engagements artistiques, avec une attention spécifique et constante portée aux jeunes artistes. Il est certain – cela a été rappelé lors des auditions et ne vous aura pas échappé – que la crise aura un impact durable, particulièrement dans les secteurs culturels non subventionnés.
De manière complémentaire, nous réfléchissons à organiser l’emploi artistique et créatif selon des logiques de filière en garantissant une trajectoire aux artistes soutenus par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cela offre une réponse aux potentiels transferts ou pertes d’emploi. Pas plus tard qu’hier, Annie Bozzini, la directrice de Charleroi danse, me disait que son secteur n’avait enregistré aucune perte d’emploi. Par conséquent, il faudra affiner notre réflexion et évaluer si certains secteurs accusent plus de pertes d’emplois que d’autres. Cela ne semble pas être le cas du secteur de la danse. Bien sûr, il ne s’agit que d’un exemple qui ne doit pas être généralisé à l’ensemble du secteur culturel, mais il conviendra d’en tenir compte, sachant que les aides octroyées par la Fédération Wallonie-Bruxelles ont été un outil majeur pour éviter de mettre à mal une très grande partie du secteur. La logique de filières favorisant le maintien de l’emploi est déjà une réponse aux potentielles pertes.
Par ailleurs, même si cela ne relève pas vraiment de mes compétences, il subsistera sans doute de nombreuses questions relatives aux travailleurs du secteur de la nuit, comme les techniciens et les régisseurs. Ce secteur a connu de plus grandes difficultés encore que celui de la culture. Nous ne fermons pas la porte à une analyse; elle peut être intéressante. Évitons toutefois de généraliser. Gardons cela à l’esprit et tentons d’objectiver notre analyse de la situation au fur et à mesure, en anticipant et en tenant compte des aides déjà octroyées. La création des filières constitue une réponse à cette problématique.
Réplique
Madame la Ministre, je vous remercie pour cette réponse complète, qui démontre une vraie prise en compte du secteur et des questions qui l’occupent. Définir un périmètre n’est en effet pas simple. Votre réponse montre cependant que vous êtes pleinement consciente de l’importance d’avancer dans ce travail de cartographie, pour d’évidentes raisons. Faisons-le comme vous le suggérez: pas à pas, en commençant par certains secteurs en particulier, et pourquoi pas l’emploi artistique. Cela semble être une bonne manière de le faire. Essayons en tout cas, comme vous le proposez, de faire évoluer de façon positive ce travail de cartographie, qui peut être utile à différents niveaux et donner une idée plus précise du poids réel du secteur de la culture.
Je réagis également à votre réponse à la question de Mme Pavet, en insistant sur un aspect spécifique. Vous avez cité le cas des régisseurs et des techniciens des domaines des musiques actuelles et de la danse. Vous attirez l’attention sur le fait qu’au-delà de l’énorme difficulté de ces acteurs, le secteur ayant été à l’arrêt et lourdement sinistré, certains ont quitté ces métiers parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. Une difficulté supplémentaire s’ajoutera donc au moment de la relance: il faudra trouver du personnel qualifié dans ces métiers, d’autant plus que les possibilités de se former ont fait défaut pendant la crise sanitaire et que les écoles n’ont pas pu proposer de stages. Depuis une bonne année, il manque de nombreux professionnels. J’attire dès lors votre attention sur cet aspect, qui va poser un certain nombre de problèmes lors de la relance.