Question orale sur l’impact économique de la culture
Question orale de GARDIER Charles à LINARD Bénédicte, vice-présidente du gouvernement et ministre de l’Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des femmes, sur l’impact économique de la culture.
Madame la Ministre, cette question vous est adressée consécutivement aux déclarations du 31 mars 2022 du directeur général de l’Orchestre royal de chambre de Wallonie et trésorier de la Fédération des employeurs des arts de la scène. Lors des auditions sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le secteur culturel, il a avancé qu’un euro investi dans la culture rapportait entre trois et trente euros en fonction de la taille de l’événement.
Cela fait de nombreuses années que je défends ce sujet auprès des différents ministres de la Culture que j’ai eu l’occasion et le plaisir de côtoyer. Préalablement à la pandémie de Covid-19, j’avançais que la culture rapportait immédiatement et rapportait gros. Il faudrait être particulièrement malhonnête pour y voir de ma part une quelconque volonté de considérer les artistes comme des marchan- dises n’ayant pas d’âme. En effet, à de multiples reprises, j’ai affirmé le rôle cen- tral de la culture dans notre société, en tant que vecteur d’émotions, de partages, de diffusion musicale, etc.
Désormais, à la lumière des affres causées par la pandémie de Covid-19, j’irai jusqu’à dire qu’il y a deux motifs principaux sous-tendant la nécessité d’une ouverture permanente de la culture. D’une part, le fait que, moyennant le respect de contraintes logistiques, la culture n’a jamais constitué un vecteur majeur de propagation d’une pandémie et, d’autre part, le fait que la culture constitue un moteur crucial de l’économie lorsque d’autres secteurs sont au ralenti, voire à l’arrêt.
Nous avons trop souvent tendance à aborder le secteur culturel par rapport à ce qu’il coûte et non à ce qu’il rapporte. Après tout, en 2019, le secteur culturel – hors secteur public – constituait le troisième employeur de l’Union européenne, derrière les secteurs de la construction et de l’horeca. Avec ses 7,1 millions de travailleurs en Europe, le secteur culturel pesait à l’époque 536 milliards d’euros, soit trois quarts du montant dégagé par l’Union européenne pour son plan de relance post Covid-19.
Lors de nos derniers échanges sur le sujet, le 20 octobre 2020, nous avions évoqué la réalisation de comptes satellites de la culture, lesquels existent déjà en Europe, notamment aux Pays-Bas, en France et en Espagne. Naturellement, je comprends que la pandémie de Covid-19 vous ait empêché de consacrer des moyens substantiels à cette thématique, au sujet de laquelle je vous sais très attentive, puisque vous avez chargé l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) de sur- veiller l’impact de la crise sanitaire sur le monde culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À l’époque, il était encore question d’une discussion sur la méthode d’analyse, préalablement à la constitution d’un référentiel de l’emploi culturel.
En novembre 2019, des critiques méthodologiques avaient été émises à l’encontre de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique et de l’Université libre de Bruxelles, à l’occasion d’une étude à laquelle l’OPC avait partiellement collaboré. Je ne retiendrai qu’un exemple quant aux méthodes d’analyse: un restaurant attenant à un lieu culturel doit-il faire partie d’une étude quant au poids économique de la culture?
Disposons-nous de chiffres actualisés quant au poids économique de la culture en Fédération Wallonie-Bruxelles? Des études récentes ont-elles été réalisées à ce sujet? Dans l’affirmative, qu’en ressort-il? Quelles avancées ont-elles été enregistrées dans ce dossier? Qu’en est-il notamment de la réalisation de comptes satellites de la culture? Me rejoignez-vous lorsqu’il est question d’inclure dans le calcul du poids économique de la culture l’ensemble des activités économiques en dépendant et sans laquelle ces dernières s’en trouveraient fortement réduites?
Réponse de la Ministre
En septembre 2020, le journal «L’Écho» a décortiqué les chiffres avancés par le secteur culturel au sujet de son poids économique: 5 % du PIB, troisième employeur européen et 250 000 travailleurs en Belgique. Ces chiffres recouvrent douze domaines d’activités – l’architecture, les arts plastiques, l’audiovisuel, le design, l’enseignement culturel, les livres et la presse, les loisirs culturels, la mode, le patrimoine, les archives et les bibliothèques, la publicité́, le spectacle vivant et les activités mixtes – qui ne relèvent pas tous des politiques culturelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les acteurs issus de ces domaines ont, en outre, des modèles économiques très différents. On peut retrouver derrière ces chiffres, par exemple, une association d’éducation permanente constituée en ASBL et fonctionnant quasi exclusive- ment grâce à des subventions publiques, un théâtre qui compte tant sur des subventions que sur des recettes propres pour exister, un festival de musique urbaine aux multiples sponsors, une jeune pousse qui développe une technologie innovante en matière d’effets spéciaux pour le cinéma et ayant reçu une subvention régionale, une agence publicitaire qui engage des comédiens par l’intermédiaire de la Smart, le groupe de presse Rossel ou encore l’Union générale cinématographique.
L’argument du poids économique du secteur de la culture pour démontrer son importance se justifie pour certains domaines d’activités culturelles «marchands». Cependant, il est biaisé en raison de la très grande diversité des domaines d’activités culturelles et de celle des acteurs culturels aux réalités fort contrastées. Dans une certaine mesure, cet argument peut même être dangereux. En effet, mettre uniquement en avant la performance économique pour justifier l’importance de la culture, c’est prendre le risque de dévaloriser l’action des bibliothèques, des centres d’expression et de créativité, des associations d’éducation permanente, des compagnies de théâtre émergentes et audacieuses qui ne cherchent pas à être rentables. À trop utiliser l’argument du poids économique du secteur de la culture, je vois un risque que ce dernier, dans son ensemble, soit otage de cette justification comptable. Si je conçois que le versement de subventions à un opérateur culturel peut être conditionné à sa viabilité, je refuse le fait qu’il le soit à sa rentabilité.
En tant qu’écologiste, attachée à la démocratisation permanente de notre société, je mobilise davantage l’argument du poids démocratique du secteur de la culture, en particulier celui concerné par les politiques publiques, pour qualifier son importance et revendiquer le fait qu’en périodes de crise, il doit être renforcé et non mis à l’arrêt. Il ne faut d’ailleurs pas forcément être écologiste pour tenir pareils propos, Jean-Gilles Lowies déclarant dans «L’Écho» que «la culture est le thermomètre d’une démocratie».
Je n’écarte pas la question du développement économique du secteur culturel pour autant. Le contrat de filière du livre et celui, à venir, de la musique sont des projets que je porte. Ils ont pour objectifs la structuration et le renfort de ces secteurs qui ont une dimension marchande et pour lesquels les articulations entre les secteurs public et le privé doivent être renforcées afin de favoriser leur développement.
Concernant l’objectivation de la contribution de la culture à l’économie en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’OPC travaille actuellement à la définition du champ couvert par le cadastre de l’emploi dans le secteur culturel. C’est une question importante. Je ne pense toutefois pas que les douze domaines d’activités énumérés doivent faire partie du champ observé. C’est une première étape.
Réplique
Madame la Ministre, je vous remercie pour le ton de vos réponses. Vous avez bien compris mon but, mais je vais le préciser à nouveau. En venant avec l’argument du poids économique de la culture, je voulais simplement rajouter une couche supplémentaire, si besoin était, concernant tout ce qui est et devrait être évident. Je rappelle quand même à quel point la culture a été bafouée et reconnue finalement comme non essentielle. Je veux rajouter à toutes les bonnes raisons d’être au côté des acteurs culturels une raison supplémentaire: lorsque nous investissons dans la culture, il y a un retour qui est plus important que l’investissement de base.
Madame la Ministre, vous avez raison: le poids économique du secteur de la culture n’est pas linéaire et n’est pas équivalent dans tous les secteurs. Cependant, pouvoir le démontrer de façon factuelle, comme cela se fait dans d’autres Régions, ne peut que renforcer et justifier les raisons d’être particulièrement proactif au côté de la culture. J’ai beaucoup apprécié que vous citiez mon ami Jean-Gilles Lowies, notamment parce qu’il voit la culture le «thermomètre d’une démocratie». C’est une personne remarquable avec laquelle j’ai eu énormément de plaisir à travailler sur le statut des artistes.
Madame la Ministre, je continuerai évidemment de vous interpeller afin que nous ayons tous les outils nécessaires. De cette façon, nous pourrons faire peser les politiques culturelles de manière encore plus forte, notamment par rapport à ce qu’elles apportent d’un point de vue économique à notre pays.